Les vidéoclubs

Posted by Maximeon janvier 14, 2014

En 1979, on ne recensait en France que 500 vidéoclubs, quatre ans plus tard, leur nombre avait décuplé ; aujourd’hui, ils ne sont guère plus de 2 000, dont la moitié (selon les éditeurs) fonctionnent efficacement. Autant de chiffres significatifs qui démontrent clairement que le marché locatif (qui fut et reste la vocation première du vidéoclub) est en régression, et ce, au seul profit de la vente.

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Deux marchés qui pourtant sont toujours très complémentaires. Et si tous les professionnels de la vidéo s’accordent à dire que le marché est florissant, les vidéoclubs paraissent un peu en retrait dans cette euphorie générale. Est-ce à dire qu’ils auraient tendance à jouer les martyrs ? Certes un peu mais pas toujours à tort. En effet, si les rapports avec l’ensemble des éditeurs sont par– fois difficiles, il faut reconnaître que certaines pratiques de ces derniers peuvent laisser pantois. Un exemple récent qu’aucun patron de vidéoclub n’a oublié : « L’opération « Grand bleu ». Le 22 septembre 1989. CBS-Fox sortait le film de Besson à la location, de nombreux vidéoclubs l’acquirent (à 1 000 francs la cassette). Malheureusement, moins de deux mois plus tard, le 20 novembre (pour les fêtes en somme), le film passait à 199 francs à la vente. Et sans même que les vidéoclubs en aient été avertis. Autant dire que, pour ces derniers, le coup fut dur à encaisser car ils perdaient un réel potentiel à la location. Olivier Philippon, PDG de CBS-Fox, se souvient : « Effectivement, nous avons commis une erreur en cachant la sortie à la vente du « Grand bleu », mais là où les vidéoclubs ne sont pas très objectifs, c’est que ce soit à la vente ou à la location, « Le grand bleu » se révéla être un produit en or. Personne n’a perdu d’argent sur ce titre. Déontologiquement, ce n’était certes pas très correct, mais croyez-moi, l’affaire a été juteuse pour tout le monde. » Sans aucun doute, mais la manœuvre n’a guère séduit et restera à jamais dans les mémoires. Autre sujet délicat, le prix trop élevé, selon les vidéoclubs, des films destinés à la seule location. Exemples : « Haute sécurité », chez GCR, à 897 francs HT, « Abyss », chez CBS-Fox, à 800 francs HT, ou encore « Les nuits de Harlem », chez CIC, à 699 francs HT, difficilement rentabilisables, selon Cambronne Vidéo, un petit vidéoclub proche de Paris : « On peut les « toucher » moins chers, certes, mais il faut pour cela en acheter plusieurs ou acquérir des inédits inlouables… »

 

Effectivement, pour que les prix baissent, il faut se plier à certaines exigences commerciales des éditeurs. Ainsi, il est possible d’acheter « Les nuits de Harlem » à 599 francs HT, mais par lot de trois (soit 1 797 francs HT), une remise est même consentie si d’autres films sont achetés en même temps (les fameux inédits inlouables). Idem pour « Haute sécurité », que le vidéoclub paiera, s’il le prend par deux, 798 francs HT (soit 1 596 francs), et 10 % moins cher s’il l’achète par cinq. Pour GCR, qui représente 31 % du marché locatif, il s’agit de pratiques commerciales classiques, « Si vous prenez plus de produits, on vous accorde une réduction, c’est partout comme cela, rien de très surprenant là-dedans. A cet égard, la formule « contrat privilège », que nous proposons aux vidéoclubs, semble convenir à la majorité d’entre eux. Deux fois par an, nous proposons à nos meilleurs clients (moyennant un forfait locatif de 75 francs par mois, sur six mois minimum) des produits que nous ne commercialisons pas. Le vidéoclub dispose donc de douze cassettes à louer, avec de bons produits (« Jusqu’au bout du rêve », « Outrages » ou « Pas nous, pas nous »). Si au bout du septième mois, les résultats ne sont pas satisfaisants et si le vidéoclub le désire, nous reprenons les films et lui présentons un autre pack de douze, nous lui offrons même les anciennes cassettes. De plus, nous garantissons, par contrat, de ne pas les placer à la vente avant un an. Le concept a plu et fonctionne très bien » En aucun cas, et tous les éditeurs le confirment, il n’y a de politique de vente forcée ; aucun lot, s’il est proposé, n’est imposé. Jean-Pierre Warnke- Dhérines est clair sur ce point : « Chez CIC, il n’y a jamais eu, et je ne crois pas non plus ailleurs, d’imposition de vente. Nos représentants ne démarchent pas avec des matraques. Maintenant, si un vidéoclub achète des produits qu’il ne veut pas, il faut qu’on m’explique » Olivier Philippon confirme : « La politique de pack n’existe pas. En revanche, nous avons des conrats « point pilote » (650 clubs à ce jour), les vidéoclubs concernés reçoivent les titres les plus importants de nos programmations mensuelles (sans les commander) et choisissent. On ne les force jamais à acheter. En ce qui concerne les inédits, et- si les vidéoclubs faisaient l’acte de vente que l’on attend d’eux, ça irait sûrement mieux : lorsqu’un client n’a pas pu louer le film qu’il désirait, il faudrait l’orienter vers d’autres produits moins connus mais souvent très bons. Le conseil est quasi inexistant chez les vidéoclubs. »

 

Certains d’entre eux, comme Vidéo Club, de L’Hay-les-Roses, une petite structure qui propose 1 500 films à la location et 300 films à la vente, conçoivent parfaitement la politique dite de pack : « Il faut oser investir ; acheter un seul exemplaire de « l’Arme fatale 2 » à 800 francs HT, est une grossière erreur. Tandis que si vous prenez le lot de quatre proposé par Warner, vous payez 2 370 francs (film à 590 francs HT) au lieu de 3 200 francs. Et après, vous pouvez toujours en revendre un ou deux à un collègue si vos quatre cassettes ne sortent pas assez » Mauvaise volonté de certains vidéoclubs ou politiques commerciales des éditeurs mal assimilées, toujours est-il que les relations entre les uns et les autres ne vont pas pour le mieux. A tel point même que certains vidéoclubs envisagent de fermer boutique, c’est le cas de Cambronne Vidéo qui projette de revendre après sept années d’existence. Le patron de Best Club Vidéo, à Rueil-Malmaison (92), estime, pour sa part, que le prix conseillé à la vente et préconisé par l’éditeur est un peu bidon car seules les grandes surfaces peuvent réellement assurer ce tarif-là. Exemple « La Belle et le Clochard » à 159 francs à la Fnac ou encore « E.T. », à 149 francs en grande surface. « Comment voulez-vous que nous nous alignions puisque nous sommes en hors taxe déjà au-dessus des prix pratiqués en grande surface ? » « Faux, rétorque CIC, « E.T. » est vendu 125 francs HT, moins 5 % de remise, ce qui ramène la cassette à 119 francs HT, un prix très correct !

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Ajoutez les 22 % de NA et la marge reste très convenable, compte tenu du prix ‘conseillé de 199 francs ! » La grande surface, pense-t-on au Vidéo Club de L’Hay-les-Roses, peut se permettre de casser un prix à la venté comme pour « La Belle et le Clochard », seulement, dans le même temps, elle vous vend « Winnie l’ourson » à 179 francs, c’est-à-dire 30 francs plus cher que chez moi ! On vous donne d’un côté, et on récupère de l’autre: Maintenant, peut-on, pour « La Belle et le Clochard », dire à nos clients, le plus souvent des habitués, d’aller l’acheter à Carrefour ? Nous sommes coincés et nous l’affichons 199 francs » On notera que si la location connaît quelques difficultés, la vente elle aussi ne se porte pas au mieux. En effet, de petites structures du type JM Vidéo à Paris (1 500 titres), Best Club à Rueil, qui propose 1 300 films, Issy-Vidéo à Issy-les-Moulineaux avec 2 000 titres, Vidéo Balzac à Lille (1 700 titres), Europ Vidéo à Rennes (1 000 films) ne font que du locatif ou presque, et que seules les ventes qu’ils réalisent correspondent à des demandes précises de leurs abonnés.

« Pour ma part, explique le propriétaire du Best Club Vidéo à Rueil, je n’ai pas de stock, c’est de l’argent qui dort. Si un client désire un film particulier, je le commande. Pour acheter, les jeunes vont à Carrefour et, pour louer, ils viennent chez moi. Parfois, cependant, des clients se plaignent de la qualité médiocre de certaines cassettes vendues en supermarché. Une question se pose : pour afficher des prix parfois très bas, les grandes surfaces ne vendraient-elles pas des produits dupliqués sur des supports de moindre qualité ? Il faudrait demander aux éditeurs. » Ce qui fut fait, la réponse est incontournable : « Il n’y a pas cinquante qualités de bande, simplement il peut arriver qu’une bande soit défectueuse et il suffit alors de conserver son ticket de caisse pour faire un échange. » En théorie bien sûr, mais les responsables des linéaires vidéos l’entend-dent-ils tous de cette oreille ? La question reste posée puisqu’il est impossible, pour nous, journalistes, de leur soutirer la moindre information. Mais l’expérience est à tenter, messieurs les éditeurs ! En province, le marché de la vente en vidéoclubs est quasiment inexistant (sauf pour les magasins spécialisés, bien sûr), et sur la douzaine de clubs contactés, deux ou trois seulement pratiquent la vente, et encore très peu (Vidéo Bourg Neuf à Blois, Mondial Vidéo Club à Marseille, Europ Vidéo à Rennes). Ils ne sont plus motivés par la vente et réalisent leur chiffre d’affaires — pas mirobolant d’ailleurs — exclusivement en location. A Lille et à Rennes, les Cora, Auchan, et autres Carrefour ont depuis longtemps conquis le marché de la vente et il est impossible et inconcevable, pour ces vidéoclubs, de proposer les mêmes prix : « Sur -certains films, et même si nous ne sommes que 15 ou 20 francs plus chers que ces supermarchés, les clients préfèrent les acheter chez eux. C’est comme ça, il n’y a rien à faire ! ».

Il aurait fallu certainement saisir le marché plus tôt car si les éditeurs se sont rapidement tournés vers les grandes surfaces afin de développer le marché de la vente, c’est en grande partie de la faute des vidéoclubs qui, trop timorés et peu enclins à prendre des risques, ont laissé filer le marché. De plus, côté vidéoclubs, des erreurs ont été commises, qui ont déplu à certains éditeurs quand, par exemple, CIC a mis « Top gun » à 125 francs à la vente, de nombreux vidéoclubs l’ont acheté pour le placer à la location. Beaucoup d’autres titres ont été dans le même cas. CIC et Jean-Pierre Warnke-Dhérines estiment aujourd’hui que la pratique était de bonne guerre dans la mesure où les vidéoclubs reconstituaient leur stock en proposant à leur clientèle un excellent produit qu’en d’autres temps ils avaient payé très cher (et qui depuis était usé, donc à remplacer). Des erreurs, de part et d’autre, qui, bien souvent, ont envenimé des rapports déjà compliqués entre l’éditeur et son client numéro un, le vidéoclub. « Parfois agaçant aussi pour nous, petits vidéoclubs, cette guéguerre grossiste-éditeur (et même s’ils s’en défendent) et qui consiste à surenchérir systématiquement sur le concurrent, l’un propose 10 %, l’autre 15 %, de vrais marchands de tapis. » Curieux sentiment, dirons-nous, car moins on paie, mieux c’est, non ? Ouvrons une parenthèse pour préciser que, dans cette optique-là, Zénith Productions (en assumant la double casquette grossiste-éditeur) a su résoudre à son niveau le problème. N’en déplaise à… certains. Autre phénomène nouveau, et spécialité Warner, qui ravit d’ailleurs autant de gens qu’elle en agace, le fait de placer un film à la fois à la location et à la vente (« Batman », édité en octobre. Prix de vente conseillé 189 francs). Côté vidéoclubs (une dizaine contactés), le concept plaît énormément : « C’est super, pour une fois que nous pouvons choisir le mode d’exploitation d’un produit. Si on avait toutes les nouveautés à ce prix là (105 francs HT), ce serait formidable !

 

Croyez bien qu’on préfère ça à la manœuvre « Grand bleu »… » Côté éditeurs, surtout ceux axés sur le locatif (GCR), on pense que ce n’est pas en agissant ainsi qu’on pourra relancer la location. Certes, mais rappelons que la Warner est surtout portée sur la vente (qui représente 75 % de son chiffre d’affaires) : « Nous sommes effectivement les seuls à adopter cette politique (expérience précédente avec « Rainman ») et nous pensons que proposer un « blockbuster » à 105 francs HT aux vidéoclubs, et leur permettre de le louer ou de le vendre, contribue à servir et à relancer le marché en général et non un marché plus qu’un autre. » Pour conclure, le vidéoclub reste, en tant que « commerce de proximité », tout à fait performant (pour le locatif essentiellement), mais de l’avis de tous, pour devenir millionnaire, il faut évidemment une grosse structure ou tout simplement changer de… métier.

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